Dans son dernier rapport paru le 4 avril 2022, le GIEC a pour la première fois mis en avant les technologies d’élimination du dioxyde de carbone (EDC) comme solution possible pour atteindre les objectifs climatiques fixés par les Etats. Mais de quoi s’agit-il exactement ? Et quels sont les enjeux de cette technologie naissante ?
Les technologies d’élimination du carbone (EDC) : qu’est-ce que c’est ?
Les technologies d’élimination ou de séquestration du carbone, ou technologies à émissions négatives, désignent les procédés qui visent à extraire le dioxyde de carbone de l’atmosphère et le stocker dans le sous-sol.
Ces procédés peuvent être “naturels” : restauration des zones humides, reboisement massif, etc. Ou créés par la main humaine : captage direct dans l’air, gestion des sols pour améliorer leur capacité à capter le carbone, altération accélérée, fertilisation des océans pour accroître l’absorption de CO2 par les algues…
On sait en effet que l’excès de CO2 dans l’atmosphère est l’une des principales causes du réchauffement climatique. Les émissions de dioxyde de carbone intensifient l’effet de serre.
Pour le GIEC, les EDC font partie des solutions dont nous disposons pour lutter contre le réchauffement climatique. À condition cependant de changer de modèle. Pour limiter le réchauffement à 1,5 ou 2 degrés, ce sont plusieurs milliards de tonnes de CO2 qui doivent être extraites annuellement de l’atmosphère d’ici 2050. Or, en 2021, moins de 10 000 tonnes de CO2 ont été retirées de l’atmosphère.
Où en est-on aujourd’hui ?
Toujours selon le dernier rapport du GIEC, les émissions de carbone n’ont jamais été aussi élevées dans l’histoire de l’humanité. Il nous reste peu de temps pour contenir le réchauffement climatique à 1,5°C, la limite fixée par l’accord de Paris de 2015. Un objectif qui ne pourra pas être atteint sans un changement de paradigme.
Au niveau national et européen, des lois ont néanmoins été votées pour lutter contre le réchauffement de la planète. Par exemple, la loi européenne sur le climat contraint juridiquement l’Union européenne à atteindre l’équilibre entre les émissions de gaz à effet de serre et les éliminations de carbone (ce qu’on appelle la neutralité carbone), à l’horizon 2050. L’un des objectifs inscrit dans la loi prévoit que 225 millions de tonnes d’émissions de CO2 soient extraites d’ici 2030.
Aujourd’hui pourtant, la majorité des technologies d’élimination ou de stockage du carbone en sont encore au stade du projet. Elles ne permettent pas de compenser, pour l’instant, le niveau des émissions carbone. Mais ces nouvelles solutions pourraient bien se déployer à grande échelle dans les années à venir.
Elles suscitent en tout cas un réel engouement dans le secteur de la finance : aux Etats-Unis, plusieurs géants de la tech (Meta, Stripe, Shopify et Alphabet) ont lancé avec le cabinet McKinsey l’initiative Frontier, qui vise à accélérer le développement des technologies EDC.
L’objectif ? Acheter pour 925 millions de dollars d’élimination du CO2 à des entreprises qui développent cette technologie, d’ici 2030. “L’objectif est d’envoyer un signal fort aux chercheurs, aux entrepreneurs et aux investisseurs pour leur faire comprendre qu’il existe un marché croissant pour ces technologies”, peut-on lire sur le site Internet du programme.
En 2017, l’étude “Natural climate solutions” parue dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences, a par ailleurs montré que des mesures appropriées en termes de gestion de la nature pouvaient permettre au monde de diminuer d’un tiers la part des émissions de CO2 qu’il doit réduire d’ici 2030.
Depuis, d’autres études ont remis ces chiffres en question. Une certitude est restée : par la gestion des sols, la restauration des prairies ou la plantation d’arbres à grande échelle, il est possible d’absorber une partie des gaz à effet de serre.
Technologies d’élimination du carbone : pas de miracle en vue
Ailleurs dans le monde, des projets d’envergure ont été déployés pour tester ces nouvelles technologies. En Islande, l’entreprise Climeworks a récemment lancé la plus grande usine de captage de CO2 du monde.
Mais sa capacité de captage ne permet de compenser que 4000 tonnes de CO2 par an, soit les émissions annuelles de 870 voitures. Une contribution symbolique. En outre, si ce projet devait être déployé à grande échelle, cela reviendrait in fine à mettre en place une filière industrielle… Et donc à émettre du CO2 !
Couplés à d’autres techniques naturelles d’élimination du carbone, ces projets peuvent néanmoins jouer un rôle pour capter une (toute) petite partie des émissions de CO2 dans l’atmosphère. Mais pour le GIEC, si ces technologies ont un intérêt évident, leur potentiel est limité et leur coût très élevé.
Le plus important (et le plus urgent) reste donc de transitionner vers un modèle plus vertueux, qui nous permettra de réduire les émissions de gaz à effet de serre plutôt que de raisonner sur une logique de compensation. Et pour cela, pas de secret : il est urgent de cesser les projets relatifs aux énergies fossiles, de consommer moins de viande, de recourir au maximum aux mobilités douces et de développer les énergies renouvelables.
Pour le chercheur Glen Peters, du Centre international de recherche sur le climat d’Oslo, “[pour que les technologies EDC fonctionnent], il faut déjà réduire les émissions de gaz à effet de serre de 80 ou 90% ».
Autrement dit, il ne s’agit pas d’une solution magique, qui peut nous dispenser de fournir des efforts en termes de réduction des gaz à effet de serre. Cela pose aussi une question éthique : peut-on s’appuyer uniquement (ou principalement) sur les technologies d’élimination du carbone, sans pour autant réduire notre utilisation des énergies fossiles et réfléchir à l’avènement d’un nouveau modèle global ?