Aujourd’hui peu développé dans les DOM, le crowdfunding suscite pourtant curiosité et attention. Vincent Ricordeau, co-fondateur de LENDOPOLIS, s’est rendu en Martinique pour parler finance participative. Des professionnels locaux nous partagent leurs impressions.
Les DOM affichent aujourd’hui un faible taux d’expériences en matière de crowdfunding. Sur notre plateforme de don contre don (KissKissBankBank), les Martiniquais ont proposé 7 projets en 6 ans. À Montpellier, ville équivalente en terme d’habitants, ce sont 235 projets qui ont été portés. En Guadeloupe, en Guyane, à Mayotte ainsi qu’à La Réunion, les résultats semblent assez similaires. Loin de la métropole, des acteurs locaux invoquent le manque d’information sur le sujet et le besoin de faire de la pédagogie. Une logique de solidarité ancestrale, de la main à la main, laisse également sous-entendre que les habitants n’ont pas besoin du Web pour s’entraider. Pourtant, la viralité constituerait une réelle plus value pour ces habitués : en terme de rapidité, de facilité ainsi que d’élargissement de leur réseau.
3 banques couvrent 70% du marché
Adrien Comlan, expert-comptable en Martinique, s’intéressait déjà au financement participatif depuis 2–3 ans, notamment comme alternative pour les start-ups. Le crowdfunding se présente comme une opportunité attrayante pour les Martiniquais: “Je pense que c’est une solution particulièrement adaptée pour nous car la concurrence bancaire est faible. 70% du marché est couvert par 3 banques…” Une entreprise peut donc rapidement se retrouver dans l’impossibilité de contracter un prêt bancaire. L’expert-comptable ajoute : “Nous avons une forte tradition du coup de main mais, qui n’est pas formalisée. Ce serait donner un cadre juridique à une pratique déjà existante.” Adrien Comlan souligne cependant un frein : “Au point de vue de l’utilisation des solutions bancaires en ligne, comme payer ses factures par Internet, elles sont moins utilisées en Martinique. Nous sommes encore très attachés aux modes plus traditionnels. Nous avons eu l’Internet à haut débit plus tard aussi. Il s’est seulement ouvert au grand public il y a 5–6 ans.” L’expert envisage de monter un département, dans son cabinet, spécialisé en crowdfunding d’ici 2017. Jusque-là, il ne préfère pas proposer à ses clients le financement participatif comme solution : “Il y a aujourd’hui trop peu d’informations sur le sujet. Avec le passage de Vincent Ricordeau, il y a eu une retombée médiatique. La population est un peu plus informée. Mais quand on a un client, si l’on lui propose une solution et que cela ne marche pas, ce sera la faute de l’expert-comptable…” Pour Adrien Combla, le travail de pédagogie auprès des experts-comptables reste, dans les DOM comme en métropole, indispensable.
Un partenariat pour orienter les entrepreneuses vers le crowdfunding
Christelle Leonidas se présente comme la déléguée générale de Martinique Pionnières, une association qui accompagne les créatrices d’entreprises. “Je connaissais déjà la crowdfunding car une des Pionnères avait essayé de lancer une plateforme au niveau local, mais cela avait capoté”, évoque-t-elle. “Nous avons appris beaucoup de choses avec le passage de Vincent Ricordeau. Surtout que les Pionnières n’étaient pas toutes au fait. Aujourd’hui, plusieurs ont envie de lancer un projet via le crowdfunding. Une voudrait créer un centre pour les personnes neurodégénératives. Mais pour le moment, elle étudie comment le présenter… C’est une bonne opportunité pour les Pionnières puisque nous nous situons dans le champ de l’innovation”, relate la déléguée générale. Cette dernière met également en exergue la frilosité des banques et donc, la difficulté de lever des fonds par cette voie. Le crowdfunding, une bonne opportunité pour les entrepreneuses ? “Les femmes ont peut-être un côté plus créatif. Elles seront donc peut-être plus douées pour défendre leur projet”, suppute Christelle Leonidas. “Idéalement, je réfléchis à mettre en place un partenariat pour orienter (via le site Internet) les Pionnières vers les plateformes de crowdfunding !” conclut la représente.
Ce système gagne a être connu
“J’ai totalement été convaincue par le crowdfunding. Je me suis d’ailleurs inscrite sur LENDOPOLIS et ai déjà contribué à un projet” exprime, enjouée, Valérie Anne Lauhon, experte-comptable martiniquaise.
“Le concept permet de participer à l’économie réelle et de pallier pour les personnes qui n’ont pas accès au financement bancaire. C’est une bonne opportunité pour la Martinique car les banques sont encore plus frileuses ici. C’est pour cela aussi que nous voulions que Vincent Ricordeau vienne”,développe-t-elle.
L’experte-comptable souligne cependant quelques entraves au développement de la finance participative dans les DOM : “Au niveau culturel, il y a eu des scandales pyramidaux ici. Les gens ont tendance à assimiler cela avec le crowdfunding… Un second frein pourrait être que nous ne sommes pas si confiants par rapport à Internet.” Pour Valérie Anne Lauhon, le système gagne a être connu et constitue une bonne alternative au développement économique de la Martinique : “En tant que comptable, je vais conseiller aux clients d’utiliser les plateformes car c’est un moyen sûr, en tout cas au niveau du fonctionnement.”
Un outil extraordinaire pour investir dans l’économie
Eric Mondesir, ingénieur patrimonial de l’île aux fleurs, s’intéresse de près à l’évolution du crowdfunding. “Mon développement passera aussi par là”, exprime-t-il. “Nous avions les banques comme concurrentes, il faut désormais aussi appréhender ces outils”, ajoute le gestionnaire. Pour ce dernier, le financement participatif représente un outil extraordinaire pour permettre aux particuliers d’investir dans l’économie nationale, régionale ou de proximité. “Je prends peut-être des risques en prêtant mais il y a quand même des gardes fous…”, précise-t-il. Pour les entreprises martiniquaises, l’ingénieur patrimonial envisage le crowdfunding comme une grosse opportunité : “Le financement est vraiment problématique. La métropole ne finance pas les sociétés dans les DOM…” Eric Mondesir souligne cependant un (seul) point de résistance : “En Martinique, les chefs d’entreprise sont très discrets. Cela leur demanderait de se mettre à nu sur Internet.”