Et si on produisait de l’électricité avec de la canne à sucre ? Certaines centrales biomasse sont déjà alimentées par de la bagasse, un résidu de l’exploitation de la canne à sucre. Ces formes de biomasse se substituent au charbon pour alimenter des centrales thermiques. Comment fonctionne ce mode de production d’énergies renouvelables ? Quels sont ses avantages et ses points faibles ? Tour d’horizon.
Des problématiques énergétiques spécifiques dans les îles
Dans certaines îles non connectées au réseau électrique continental (aussi appelées les Zones Non Interconnectées), les problématiques liées à l’énergie sont très spécifiques. En effet, vu qu’il n’est pas possible de s’approvisionner avec de l’électricité produite sur un autre territoire, il faut que le réseau soit autonome dans son fonctionnement.
Ainsi, il faut produire l’électricité localement. Souvent, la solution qui a été trouvée fait appel à des énergies fossiles et carbonées. Les réseaux électriques sont également de plus petite taille, ils sont donc plus sensibles aux problèmes d’intermittence de production d’électricité. Le développement des énergies renouvelables y est donc particulièrement crucial, notamment avec des sources d’énergie le moins intermittentes possibles, produites avec des ressources locales.
Pour en savoir plus, retrouvez notre article sur les Zones Non Interconnectées.
Qu’est ce que la bagasse ?
La bagasse est un résidu fibreux issu du broyage de la canne à sucre. Lorsque l’on produit du sucre à base de canne à sucre, les tiges de canne sont broyées afin d’en extraire le jus. Ce dernier est alors utilisé pour produire le sucre. La bagasse est le résidu restant. Lors du broyage, on obtient environ 70 % de jus de canne et 30 % de bagasse.
La bagasse est ensuite lavée afin d’en extraire le maximum de liquide sucré. Ensuite, on la chauffe pour réduire son taux d’humidité. Elle peut alors alimenter une centrale thermique, où elle sera brûlée à plus de 500 degrés. Cette combustion émet de la vapeur, faisant tourner des turbines, ce qui produit de l’électricité.
Une grande partie de la production va alors alimenter le réseau électrique national, et une petite partie est conservée afin de subvenir aux besoins énergétiques de l’usine de production de sucre où est réalisée la combustion. En revanche, l’exploitation de la bagasse n’est que difficilement possible tout au long de l’année, la période de récolte sucrière ne s’étendant que de juillet à décembre.
Les points forts de la bagasse
Les points forts de cette technique de production d’énergie renouvelable sont nombreux. Tout d’abord, elle permet de valoriser une ressource qui aurait simplement été un déchet sans cette utilisation à des fins de production d’électricité.
L’utilisation de la bagasse comme combustible permet également de réduire notre recours à l’utilisation d’énergies fossiles comme le charbon. En effet, cette dernière matière première est celle que l’on vient remplacer par la bagasse.
Enfin, la bagasse peut être stockée. On ne s’en sert de combustible que lorsque l’on a besoin de produire de l’énergie. On contrôle donc la quantité d’énergie produite ainsi que le moment où l’on produit, sans devoir subir des intermittences de la production (comme avec l’éolien ou le solaire, notamment).
La bagasse en pratique
L’utilisation de la bagasse comme énergie renouvelable est particulièrement répandue dans les territoires où la culture de la canne à sucre est importante. Par exemple, l’île Maurice est isolée des autres réseaux électriques et elle ne peut donc compter que sur elle-même pour produire l’électricité dont elle a besoin. Elle se tourne également de plus en plus vers les énergies renouvelables afin de diminuer sa dépendance aux énergies fossiles. Ainsi, l’électricité produite à base de bagasse pourvoit désormais 14 % des besoins en électricité de l’île. En réalité, 60 % de l’électricité de l’île Maurice est produite par 4 sociétés sucrières détenant chacune une centrale thermique. Cette dernière fonctionne normalement avec du charbon, mais la bagasse sert de combustible lorsque cette ressource est disponible.
À la Réunion, la bagasse est également utilisée comme ressource pour produire de l’énergie renouvelable. Sur l’île, il reste deux usines sucrières encore en service, possédant également chacune une centrale thermique. Avec l’énergie produite par ces deux acteurs, la bagasse couvre environ 9,5 % des besoins en électricité de l’île. Il s’agit de la deuxième source d’énergie renouvelable à la Réunion, après l’hydroélectricité. Toujours à la Réunion, l’entreprise Albioma mène des projets ambitieux. Elle souhaite notamment convertir ses centrales fonctionnant à la bagasse et au charbon afin qu’elles fonctionnent uniquement à la biomasse.
Enfin, en Martinique, la centrale thermique Galion 2, opérée par Albioma, est alimentée par la bagasse. Elle produit 7 % de l’électricité de l’île. Il s’agit même de la première centrale en outre-mer à être alimentée exclusivement par de la biomasse (dont la bagasse), sans charbon.
La filière sucrière menacée
Toutefois, le développement de l’utilisation de la bagasse pourrait être freiné par les menaces qui pèsent sur la filière sucrière. La concurrence internationale est de plus en plus forte dans ce secteur, notamment depuis 2017, avec la fin des quotas européens sur le sucre. Ce phénomène est amplifié par la surproduction de certains pays comme le Brésil et la Thaïlande.
Tout ceci a provoqué une baisse importante du cours du sucre, ce qui fragilise les industries sucrières. Ainsi, le nombre de petits planteurs a diminué au cours des dernières années. Par exemple, à l’île Maurice, on est passé de 26 000 petits producteurs de canne à sucre à seulement 13 000 en 2018. Une question importante se pose alors : continuera-t-on à produire suffisamment de canne à sucre pour alimenter les centrales thermiques à la bagasse ?
Un impact environnemental contesté
Enfin, la bagasse ne fait pas forcément l’unanimité. En effet, lors de sa combustion, du CO2 est émis comme pour toute biomasse. Dans quelques cas, celui-ci est réutilisé par les fabricants de boissons gazeuses, mais ceci fait plutôt figure d’exception. En revanche, les émissions de CO2 liées à la combustion de la bagasse sont bien inférieures à celles liées à la combustion du charbon, majoritairement utilisé. Il faut également noter que le charbon n’est pas produit à proximité des exploitations, il faut donc l’acheminer sur de longues distances, ce qui alourdit son impact sur l’environnement. L’impact environnemental de la bagasse est donc moindre.
Enfin, il est difficile de trouver suffisamment de matière première pour alimenter totalement les centrales thermiques avec de la biomasse. En complément, on peut utiliser des substituts comme la paille de canne. Mais, en réalité, il faut souvent importer des granules de bois depuis des pays étrangers, avec un transport qui alourdit le bilan environnemental de ces exploitations. Par exemple, le Martinique en importe des États-Unis. Une solution peut être d’utiliser des résidus de palettes ou du bioéthanol de seconde génération, mais ceci est encore loin d’être appliqué dans toutes les centrales à bagasse.
La bagasse est donc une énergie renouvelable prometteuse mais elle doit encore faire face à des défis et oeuvrer à réduire au maximum son impact sur l’environnement. Elle reste toutefois très intéressante pour les territoires producteurs de canne à sucre.
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